Archives de la catégorie ‘Domaine (Finalisé)’

Domaine : Un jour nouveau

Publié: 1 juillet 2010 dans Domaine (Finalisé)

Les flammes dansent et lèchent les pierres ancestrales. De ruines il ne restera, que ruines, que ruines. Le Règne des nocturnes hématophages prend fin. Je hume avec délectation le fumet de leur chair consumée, ces pauvres goules suffoquant et fuyant à l’aveugle dans l’épaisse fumée nauséabonde. Mon clan s’en donne à cœur joie, happant leur dîme au passage. Que l’Hybride se lève et étende à nouveau sa griffe sur le Domaine ! Tant de siècles passés dans l’ombre, traités en chiens de chasse par les Magnifiques, juste bon à rabattre le gibier dans leur quête de sang ! Sous le joug du Hellsinger, ployant sous le poids des chaînes qui nous liaient au Maître, nous voilà désormais libres ! La sédition née de l’intérieur, ah, mes beaux seigneurs, vous qui laissiez l’esprit supplanter l’instinct ! Voilà le beau gâchis. Voilà le fruit de votre mépris.

Nous, lycans, bestiale figure de Mère Nature, le Croc et la Griffe, l’Instinct, disposons désormais d’une aire digne de notre appétit ! Notre faim trop longtemps inassouvie va pouvoir être étanchée, oh, comme il me tarde de me délecter d’une chair vive et grasse, du regard éploré de ma proie !

Lorsque les vampires étendirent sur le Domaine leur suaire écarlate, ils asservirent mon clan, usant d’artifices grossiers que nous ne pouvions combattre. La Morsure nous marqua au fer rouge, et nous ne fûmes plus qu’animaux apprivoisés, gémissant sous le fouet. Mais au fond de nous le Grognement était toujours présent, la Rage était toujours présente. Tapie, patiente, se nourrissant au fiel de notre rancœur. Et grossissant de jour en jour.

Comme ce jour est vif en ma mémoire ! Lorsque Tristan, le Hellsinger lui-même, m’affronta, moi, Laïos, moi qui défia les Dieux et affronta le Cerbère ! La forêt frémit et trembla de nos estocs. Elle souffrit aussi, et je ressentis cette souffrance. Et ce silencieux Seigneur, virevoltant et tournoyant, tel un nuage de cendres, et fondant sur moi tel un rapace ! Et lorsque du loup il prit la forme, je ne pus qu’en rire. Un loup ? Contre moi ? Aurais-je pu savoir, aurais-je pus sentir le piège sous le duel apparemment noble ? Myriade, légion, ils furent sur moi alors que Tristan se redressait et souriait. De toutes ses dents.

Mais tout cela est désormais enterré sous quelques tonnes de pierres brûlantes. Même si…

Ce temps, si long fut-il, me permit de mieux connaître les vampires et leur immortalité. Quelques précautions supplémentaires ne pourraient être superflues.


Ainsi s’achève "Domaine", histoire de vampires pas comme les autres.

A quand la prochaine saga ? Ah oui, c’est vrai, il me reste Zoon à terminer.

Domaine : Fléau

Publié: 6 Mai 2010 dans Domaine (Finalisé)

Dans une heure Liberté. Qu’as-tu offert à ton peuple Tristan ? Si la bride s’est relâchée, le joug est le même. Pauvres, pauvres soldats que voilà, bourdonnant dans cette ruche où tu trônes fièrement ! Et ton abjecte magnanimité à l’encontre de ceux qui t’ont repoussé lorsque, banni, tu mandais sollicitude ! Tu leur offres une existence sans gloire, sans honneur ; tu leur fournis un linceul terne dans lequel ils se drapent avec un reste de vanité.

Je porte désormais ce collier ; combien de temps m’a-t-il fallu, combien de lunes ai-je du patienter pour obtenir les quatre-vingt dix-neuf variétés de diptères, anthomydes, drosophiles, hybotides, les faire sécher et les rassembler sur un fil de soie, trempé dans du fiel de chauve-souris desmodontine. On ne doit pas ignorer le pouvoir séculaire des mouches ! Ô Baal-Zebub, soutiens-moi dans mon œuvre purificatrice ! Car désormais le fardeau est mien ! Lorsque le Domaine sera libéré de toute entrave, libéré de tout maître, enfin il pourra s’étendre et vivre ! Maudit soit le Hellsinger, maudite soit l’engeance des Preneurs de Vie ! Hématophages ! Ténébreux Peuple !

Tristan, jouis de tes dernières heures, jouis de ce calice dont tu t’abreuves car je garde près de moi ce pieu de marbre, ce même marbre dans lequel est sculpté le tombeau de ma Nathalie. Et ce pieu s’enfoncera dans ta poitrine comme la plus acérée des lames, déchiquettera tes chairs et brisera le lien qui t’unit à tes fils et filles.

Errant, je croisai ce répugnant Renfield, que le Maître supportait comme l’on porte un fardeau, une cicatrice. Toujours suivi de dizaines de mouches, sentant la viande avariée et un vague relent d’urine, il longeait l’air absent le couloir qui menait aux appartements de Tristan que je quittai quelques minutes plus tôt. Il m’avait fait mander, moi et les autres favorites, et nous avions passé un moment de félicité purpurine, à nous sustenter aux gorges offertes. De toutes, il me l’avait confié, j’étais sa préférée, " son lys, sa Lysandrine " comme il aimait à scander. Et sa Dame qui me complimentait pour l’éclat de mon regard soutenu au khôl, caressant mes cheveux. Je réprimais mes frissons, au souvenir du sort de mes sœurs Ezechielle et Thanys. Je repartis ainsi la dernière de ses quartiers quand je rencontrai ce… je ne trouve pas de qualificatif à l’opprobre qu’il jette sur les Enfants du Maître.

J’avais à peine fait une dizaine de pas qu’un cri pénétrant me glaça les sangs. Puis un bruit de chute. Une chute sans fin, répétée à l’infini ; j’entendais des corps s’effondrer lourdement derrière les portes closes ; ces mêmes portes qui, quelques instants d’éternité, s’ouvrir à la volée pour laisser la place à mes semblables, goules dépenaillées, encore luisantes d’humeurs orgiaques, le regard frappé d’horreur, cherchant à droite, à gauche un Protecteur, un Preneur d’Âme, le Maître peut-être.

Mais le Maître était mort. Je le sentais. Ce fluide glacial qui parcourait mes veines depuis le jour de ma renaissance se réchauffait, je perdais le lien qui m’unissait à la Nuit, je me sentais de nouveau mortelle, vieillissante, inutile, lambeau de chair.

Domaine : Faux prophète

Publié: 9 novembre 2009 dans Domaine (Finalisé)

Lorsque l’Ombre porta le Hellsinger à Tristan, une aura opalescente s’étira en long filament tout autour du sceptre, pour se fondre aux brumes nocturnes. La Rédemption était accordée à l’esprit tourmenté il se séparait désormais de cette enveloppe diaphane, cocon vide de toute substance, réceptacle creux. Le poing fermé sur le précieux objet de pouvoir, le vampire leva haut le bras, afin que tous sachent que le Domaine était de nouveau sien. Il me fut accordé d’écrire cette page d’Histoire avant de rejoindre le clan d’immortels, choisi parmi les Elus. Amer cadeau que tu me fis là, Tristan ; le remords t’as-t-il amené à cette décision ? Quelles conséquences prévoyais-tu à ce don ? Pensais-tu me voir voleter autour de toi telle une simulie, bourdonnant de satisfaction à l’idée, à mon tour, d’étendre ton royaume d’un baiser écarlate ? Pensais-tu à Nathalie lorsque de ton ongle tu traças cet étrange signe à la base de mon cou, et que tes dents transpercèrent ma chair moite ? Mon sang avait-il la saveur du sien ?

Moi, moi, lorsqu’à mon tour je dus plonger au creux de ta gorge, assoiffé, affaibli, pour m’abreuver de ta source désormais mêlée à la mienne, c’est son regard qui s’imprima sur mes rétines. Son regard teint d’une souffrance profonde, et d’une interrogation sans réponse. Et je bus. Je bus à ce calice, caressant compulsivement ton torse lardé de cicatrices profondes et boursouflées, veiné, une mappemonde des douleurs portées tout au long de ton existence.

Et chacun, goule, vampire, simple humain aspirant au devenir de l’abjecte immortalité, d’absorber cette atmosphère de recueillement à l’érotisme morbide.

Et c’est ainsi que je devins greffier de l’Histoire du Clan, contant sans malice et sans subjectivité, l’avènement du Nouveau Règne du Maître du Domaine. De lyriques allégories, j’usais avec emphase pour décrire ces épiques combats ; l’exécution du traître, l’Héritier des Van Helsing, l’Usurpateur, aux poignets tailladés ruisselant dans les calices de la Justice où chacun d’étancher sa soif, jusqu’à ne laisser qu’une dépouille desséchée, haletant faiblement d’une étincelle qui jamais ne s’éteindrait ; les noces des amants déchus, funèbre simulacre d’une vie vécue, et Nathalie, toujours Nathalie présente dans ces pages, à me murmurer, me supplier, m’invectiver.

Combien d’années sont passées depuis ? Je ne pense plus aux mouches, presque plus. Parfois, j’entrouvre mes fenêtres, mais les diptères ne viennent plus. Les quelques spécimens que j’ai pu capturer volètent en rond dans leurs bocaux, attendant cette mort salvatrice – ou la libération définitive. J’ai fini hier un collier fait de dizaines de cadavres de mouches ; je l’ai trempé dans du fiel de chauve-souris et la nuit, La Nuit, est pour demain.

Tu m’as pris beaucoup, Tristan. Beaucoup trop. Que m’as-tu offert, qu’offres-tu à tes ouailles ? Une errance, une faim, un vide.

L’air est frais et pur. Il a un petit goût électrique. J’aime les couleurs du ciel, du mauve à l’ocre, et ces nuages qui s’effilochent, engonçant le soleil naissant dans une gaze déchirée ; c’est l’heure que je préfère, quand bourdonnent les sarcophaga carnaria, ces mouches grasses qui viennent pondre leurs œufs sur les cadavres refroidissant ; Oh, comme l’air frémit alors ! Elle miroitent à mon regard, dans la rosée du matin, elles sont des perles qui habillent les morts. Soixante-treize. J’en ai collecté soixante-treize que j’ai ramené à Tristan, en guise d’offrande. Car l’heure du Règlement de Comptes approche, l’heure où il devra me donner ce qui m’est dû. Ce soir, à vingt-trois heures dix-sept. L’heure de Nathalie.

Ce matin, elle m’est apparue ; ses ailes accrochaient les rayons de lune, et elle voletait autour de moi, vrombissant dans la tiédeur du feu de camp ; les flammes venaient lécher sa robe, mais elle ne s’en souciait guère. Elle voletait, diaphane, immatérielle, puis s’agenouilla près de ma dépouille courbaturée par les affrontements. Doucement, elle approcha son visage du mien, et ses lèvres se déformèrent atrocement alors qu’une trompe épaisse et gluante se posait sur ma jugulaire ; je me réveillais en sursaut, avec cette sensation poisseuse sur mon cou. C’était un appel ; elle réclamait le repos. Elle le méritait.

Tristan, ce soir je t’offrirai ces mouches et en échange, tu libéreras ma bien-aimée ; et par la même tu m’offriras le repos de l’âme !

Le jour est pour nous, pauvres goules, l’instant de notre propre guerre. Condamnés à protéger nos maîtres, nous luttons, humains contre humains, pour leur suprématie, dans l’espoir d’être nous aussi détenteurs de ce don d’immortalité. Notre idéal est leur malédiction ! Mais, l’est-ce vraiment ?

Nos poings, notre rage, notre rancœur, voilà nos armes, quand Eux s’arrogent rutilantes rapières et claymores antiques, haches de guerre et guisarmes. Nous voilà revenus à l’aube des Temps ! Les pierres volent, les hurlements d’exaltation couvrent les gémissements des blessés, le sang gicle et se mêle à la boue et à l’herbe piétinée. Devenons-nous Bêtes pour parvenir à la Divinité ?

Et mes mouches, les mouches, tournoient au-dessus de la mêlée, affamées et insatiables. Ce sont toujours les mouches qui gagnent.

Là ! La nuit s’étend de nouveau, de nouveau sur les corps mutilés, sur ces pauvres soldats mortels, alors que la nuée vampirique prend la relève. C’est l’heure où le jour se terre, l’heure où Tristan harangue ses troupes. C’est l’heure, Tristan.

Domaine : Murène

Publié: 11 septembre 2009 dans Domaine (Finalisé)

Mon regard s’est posé sur toi, Ethel, et ne t’a pas quittée. Ma douce, ma fragile Ethel, tu t’es acoquinée à de bien mauvaises gens… Pourquoi n’es-tu pas restée fidèle à Tristan ? Pourquoi l’as-tu trahi ? Pourquoi ton cœur naguère si accueillant s’est fermé soudainement ? N’as-tu pas pensé que d’autres auraient pu succomber à tes atours ? Sister, oh sister… Et nous voilà face à face désormais, ennemies convaincues, hier encore nous tenant main dans la main, chassant à l’envi nos proies dans les allées sombres… Et puis tu m’as mise derrière ces barreaux, livrée à ces bourreaux suceurs de cerveau ! Comment désormais pourrais-je te pardonner ?

Et, alors que mon aimé rassemble ses troupes et s’apprête à donner l’assaut, je t’observe, ma sœur, je te vois tremblante, indécise, submergée d’une peur qui jusque là t’étais inconnue… Cruelle amie, n’est-ce pas, que cette terreur sourde qui murmure à tes oreilles de bien amères pensées. Mais voilà que sonne l’heure où le métal rutilant rendra justice !

Comme j’aime sentir le vent me fouetter le visage ! Et cette lame, chantant hors du fourreau, seul héritage de feue notre mère, qui viole les chairs avides de nos ennemis ! Et chaque corps qui s’effondre me rapproche de toi, sœurette… Ces corps qui s’amoncellent et forment une estrade pour mon aimé, mon Maître, cet homme que toi aussi, autrefois, tu chérissais… Cet homme qui m’a choisie, moi, oui, moi, Lucinda !

Et nous voilà face à face, ma sœur, et la flamme muette qui sourd dans ton regard ne fait qu’attiser ma rage ! Et tout transparaît, tout resurgit alors, ce coup monté, cette mascarade qui a permis à l’Usurpateur de s’emparer du Hellsinger et de bannir Tristan ! Et les fidèles au sang, assassinés, destitués, internés, fuyant, se réfugiant dans de sombres égouts et se nourrissant de vermine, attendant le retour du Puissant ! Et ce jour est arrivé, ma sœur, le jour de la Rédemption ! Ce jour où ma lame impavide mord ta chair putréfiée, et lorsque tu me fais face, dessine sur ton visage ces stries vengeresses ! Et finalement, lorsque ta tête roule sur le côté, et ton corps qui déjà devient poussière, je ne peux m’empêcher de verser une larme, qui se mêle aux cendres de ta dépouille. Ma sœur. Ma douce et tendre Ethel.

Domaine : para bellum

Publié: 15 juillet 2009 dans Domaine (Finalisé)

Ils ont l’air fiers, sauvages et ténébreux, baignés dans les rayons de lune ; leurs armures scintillantes comme des joyaux tombés du ciel. Ils sont là, face à nous, suspendus au clocher, l’œil luisant et les babines retroussées ; leurs crocs accrochent la pâle lueur sélénite qui transperce les nuages.

Le clan est là aussi, au complet ; ils ont répondu à l’appel, lorsque le Maître a levé le Hellsinger, invectivant ses troupes et les gorgeant de sang frais, et moi, moi pauvre Ethel, entourée de mes fantômes, tremblante, seule, si seule, j’ai du choisir, voyez-vous ? Et qui aurais-je choisi ? Celui que j’ai trahi ? Ou Celui Qui Règne ? Qu’auriez-vous fait ? Je devais choisir. Il est des temps où la neutralité n’est pas un choix. Alors je suis là, en retrait, prête à verser mon sang… prête ? L’est-on jamais ?

Mourir deux fois, c’est mourir deux fois de trop. Mais je suis là désormais. J’ai les mains moites et mon épée glisse fréquemment. Comment pourrais-je affronter les hordes hurlantes ? Combien pourrais-je en tuer avant de succomber au froid de la lame, à la morsure fatale, au crible des flèches acérées ?

Le signal. Les épées qui cinglent les armures, résonnant dans l’air humide. Puis un cri, inhumain puisqu’immortel. Lui ! Il est là, sur le faîte du toit, et il s’élance, ses cheveux argentés flottant telle la nuée, sa longue cape se déployant, si majestueux, si altier, si beau… Et sa compagne à ses côtés, les yeux rivés sur moi, moi, ces puits sans fonds où se noie mon remords… Lucinda ! T’affronterai-je ? Oserai-je porter sur toi un coup fatal, souiller ma lame de ton précieux venin ? Lucinda, ma sœur, toi qui a ravi le cœur de mon bien-aimé, je t’aime toujours, je t’ai toujours aimée ; mais sur les champs de bataille, quand a sonné l’heure, reste-t-il une place pour l’amour et la piété ? Y-a-t-il encore une once d’espoir ou tout n’est-il que sauvagerie, instinct… Et Sang pour sang ?

Et nous nous ruons les uns contre les autres ! L’acier contre l’acier, les griffes qui lacèrent, un furieux ballet auquel j’assiste, cachée derrière une gargouille. Mes esprits me susurrent, m’implorent, mais rien n’y fait, je suis seule ; je vois Tristan, si beau, volant de corps en corps et de son épée buveuse d’âme séparant la chair de l’esprit. Mais rapidement je sens sa lame, ta lame, Lucinda, oui, ta lame, celle de notre mère, et sa pointe effilée qui me rentre dans l’omoplate gauche. Tu ne dis rien. Je me tais et me retourne. Nos regards luttent et nous sommes désormais inconscientes du tumulte environnant. Tu souris de me voir tremblante. Tu as toujours été la plus vaillante, la plus forte, la plus aimée. Qui étais-je, moi, pauvre Ethel, vampire souillée, nécrophage, ai-je choisi ? Non, toute ma vie je n’ai été qu’un simulacre. Je sais maintenant que tout devait se terminer ainsi. Je mourrai comme je n’ai pas vécu.

Six. Huit. Deux cents. Il sont nombreux, si nombreux, beaucoup plus nombreux que la dernière fois. Ils ont répondu à Son appel ! Si grands, si élancés, si froids, mais finalement, grouillant, grondant, s’agitant telles des mouches… Des mouches avides.

Ils sont venus, par groupe, par la voie des airs ou par le premier train, drapés dans leur plus beau costume, l’air arrogant de toujours, pâles comme des linceuls, les lèvres fardées. Certains déjà avaient compris et s’étaient parés de leur armure de cuir, tels des chauves-souris, le visage couvert de peintures de guerre. Et leur Maître les haranguait, appelait à la Soif Eternelle, à l’appel du Hellsinger, à la défaite de l’Usurpateur.

Ah, Tristan, pourquoi m’as-tu libéré de ma cage dorée ? J’étais nourri, j’étais au chaud, et je pouvais veiller, veiller aux lendemains funestes. Maintenant, ici, oui, ici et maintenant, que suis-je ? Je ne suis pas des vôtres, je ne suis qu’une goule, un entre-deux, un imparfait. Quand enfin pourrais-je déployer mes ailes diaphanes ? Et bourdonner de concert, suçant avec ravissement ce nectar de rubis ?

Et les voilà qui s’ébrouent, secouant leurs crinières, hurlant à la Lune, et qui répondent au cri de leur Maître, de retour, de nouveau parmi nous, de nouveau cruel et beau, cruel et beau. Tristan, te souviens-tu de Nathalie ? Te souviens-tu d’elle ? Gardes-tu en mémoire toutes les saveurs qui ont envahi ton palais ? Je me souviens, moi, oui, j’ai oublié son visage, j’ai oublié sa voix, mais son goût, cette texture, elle est en moi, elle le sera éternellement. Et éternellement je pleurerai la nuit, à vingt-trois heures dix-sept exactement, vingt-trois heures dix-sept, Tristan, l’heure où nous nous délections de son sang et de son âme, l’heure où mon regard s’est posé sur le sien, ses yeux écarquillés, sa pupille dilatée, son corps convulsé, et les mouches qui déjà se posaient à la commissure de ses lèvres, où étais-tu, Tristan, où étais-tu à cet instant ? ton visage plongé au creux de son cou, là où elle aimait tant recevoir mes baisers, tes cheveux caressant la naissance de ses seins, ta main posée sur son front, et moi, moi, la gueule couverte de sang poisseux, séchant déjà, et ce goût, et cette odeur, en moi, sur moi, partout, elle en moi, c’était divin, c’était affreux ! Et ces mouches, ces mouches invasives, impudiques, qui fouillent et sucent et lèchent les plaies, y pondent leurs œufs, que sommes-nous pour elles ? Un terrain de jeux, un garde-manger, un bruit de fond.

Des mouches. Ce sont des mouches. Ah ah ah ! Tristan, le roi des mouches ! Belzébuth !

Tristan, mon bel amant, ma flamme éteinte, ma braise couvée, tu es si beau ! Ce sang qui coule le long de ta jugulaire, mince filet couleur rubis, ce rictus aux commissures de tes lèvres alors que je goûte à ton nectar, à ta sève, à ton fluide écarlate, laissant entrer en moi ta frustration, ta colère, ton désir animal, ces tremblements qui animent mon être, linceul vide balayé par le vent, je suis toi, toi, toi, en cet instant ! Que n’avons-nous fui alors, ensemble, disparaissant aux yeux du monde, nuit dans la nuit, pourquoi, pourquoi m’as-tu quitté ? Pourquoi t’être exilé sans moi ? Mon âme ! Mon âme est à toi, elle n’est plus attachée à mon corps ! Déjà, longtemps déjà, tu m’as laissée, fleur flétrie, fanée déjà, mais aujourd’hui ta liqueur me réchauffe, me ranime !

Ce jour-là, quand j’ai senti ta présence en ces lieux, quand ton retour fut chanté par les cieux même, quand, ce jour-là, les étoiles pleurèrent leurs larmes de feu, une chose est survenue qui ne m’étais pas arrivée depuis longtemps : mon cœur s’est mis à battre ! Oh, le vacarme tonitruant de ces battements caverneux ! Oh le joli carnage lorsqu’ils ont tenté de me contraindre ! Cela me ramena en arrière, en ces temps lointains où nous battions la campagne, hurlant à la lune, chevauchant les nuées, pour nous repaître des égarés ! Et le culte qui nous était porté ! Nous étions des dieux, oui, des dieux, et nous étions bienveillants à l’égard de ceux qui nous craignaient. Mais cela n’a pas suffi, non, cela n’a pas suffi aux Insatiables, ils t’ont dépossédé de tout, ils m’ont dépossédé de toi !

 

Lucinda, sauvage étreinte, sensuelle sirène, jamais ton nom n’a quitté mon esprit, jamais ton parfum n’a perdu de son éclat à mes sens. Mon exil n’a fait que raffermir mon amour pour toi ! Oui, ils m’ont tout pris, mon honneur et ma gloire, mon domaine et mon nom, mais il me restait le goût de tes baisers ; et le sang, ce sang qui afflue dans mes veines et charrie la haine et la vengeance. Sèche tes larmes mon aimée, le Temps est venu. Le Temps est révolu. L’Heure est à la revanche, et le Hellsinger me reviendra de droit. Dussé-je réduire mon domaine à un amas de cendres ! La lignée Van Helsing disparaîtra ! Et la mythique Babel renaîtra dans toute sa gloire, arrosée du sang de l’ignominie ! Je ne puis, hélas, m’abandonner encore dans tes bras, si accueillants et si doux. Il reste tant à faire, tant de labeur avant d’en récolter les fruits. Le Maître a des alliés, mais des ennemis puissants sont tapis dans l’ombre ; et je me dois de les débusquer et de forger à nouveau les Légions Ecarlates ! Je les appelle, les Enfants de la Nuit, l’Engeance d’Onyx, ils seront mon fer et ma lance !

Domaine : Vertigo

Publié: 20 avril 2009 dans Domaine (Finalisé)

L’odeur du petit matin sur les quais embrumés… Moi ça me rend poétique. Les thoniers n’ont pas encore appareillé ni envahi l’espace olfactif de leur cargaison, il flotte encore vaguement un relent d’écaille huileuse, noyé dans le goût métallique du fleuve et la moite fraîcheur d’une aube naissante… parfois une brise téméraire vient fouetter ma vieille peau ridée, et emplit mes narines de parfums oubliés… Des parfums qui font renaître des images aux teintes ocres, et ma cataracte est l’écran sur lequel sont projetés ces souvenirs d’un temps lointain… Le sel d’une mer déchaînée, un soupçon de cannelle dans une effluve volatile, image d’un baiser volé…

Et ce soir encore, je sens son parfum. Reconnaissable entre mille. Mes yeux sont un gouffre, mais on ne peut tromper mon nez. Ni mes oreilles. Son parfum. Jasmin et essence de tabac, puissant et envoûtant, une fragrance qui masque au commun des mortels cette morbide puanteur qui l’entoure comme un linceul. Lui. Et l’autre, l’autre qui sent le soufre et la putréfaction, lui que l’on peindrait en rouge sang et vert acide, et noir, et noir, et noir. Lui. Qui m’a privé des couleurs et de la lumière. Qui m’a fait ce don de ne plus voir. Qui a fait de moi cette Ombre, car Ombre je suis désormais, impalpable et invisible au regard – et à l’odeur – de tous. Sauf d’eux. Ils savent, ils ont conscience, ils sont conscience, et tel je suis. Mais que suis-je ? Je ne suis point une menace. Je suis une Ombre.

Ils sont là, face à face, et leurs auras olfactives s’enlacent, se mordent, s’épousent et se séparent en milliers de subtiles senteurs aimables et mortelles. Ils s’affrontent, je le sais. Ils s’affrontent du regard, joute muette.

Mais le Seigneur Déchu a plus d’un atout dans sa manche. Même si le Maître possède le Hellsinger, et si les meutes sont à lui, son ennemi a l’expérience. Et des alliés dans l’obscurité. Je les sens autour de lui, myriades, multitude, tantôt sucrées, tantôt affadies par les années, un miel acide. Il pourra, il peut, il doit revendiquer le Hellsinger une fois de plus. Dois-je regretter mon geste d’alors ? Dois-je faire de nouveau pencher la balance du Destin ? Le pourrais-je ? Si fatigué, et pourtant si plein de ces odeurs du Monde ! Je pourrais libérer mille aquilons ! Et pourtant, je ne suis qu’une Ombre…

Seigneur Tristan, accorderas-tu le pardon à un pauvre aveugle qui te fut jadis fidèle mais qui, par vanité, orgueil et tentation, fut trahison ?