Archives de la catégorie ‘L’Antidote (Finalisé)’

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Publié: 9 janvier 2008 dans L'Antidote (Finalisé)

Epilogue de cette étrange histoire de serial killer…


Sur la berge isolée se tenaient trois vieillards ; le dos voûtés, ils observaient les forces de l’ordre qui, de l’autre côté du fleuve, entouraient la scène du crime de la bande bariolée. Demain on lirait dans les journaux que le tueur au lacet courait toujours et que son dernier méfait annonçait le maelström de sa folie. On comptait six morts dont deux par balle.

Il y aurait un démenti, bien entendu, quand les empreintes du cadavre suspecté du commissaire serait identifié.

Clothos dit :

– Désormais le monde peut craindre.

Lachésis dit :

– Le monde ? Le monde est perdu.

Atropos cracha par terre. Puis il s’étreignit le cœur et s’affala, sous le regard morne de ses frères.

Vint l’hiver, un hiver particulièrement rigoureux. La ville connut la plus longue vague de froid du siècle, d’après l’organisme national de météorologie. On dénombra plus d’une centaine de sans-logis qui succombèrent aux baiser glacé ; d’autres morts survinrent et auraient pu passer inaperçues, si ce n’est la mutilation qui les caractérisait : les lobes d’oreilles étaient systématiquement découpés.

Un homme entra dans le bar ; il secoua son bonnet couvert de neige, souffla dans ses mains pour les réchauffer et commanda un chocolat chaud. Il s’assit dans un recoin confortable de la salle, prêtant vaguement l’oreille à la musique ambiante.

Il attendit une bonne dizaine de minutes, se brûlant la paume des mains au contact de la tasse fumante, quand entra celui qu’il attendait. Il pouvait avoir la quarantaine bien tassée, le cheveu coupé court, et un tic le faisait cligner de l’œil gauche.

– Bonjour mon père, marmonna le barman. Il versa un baby de bourbon au nouveau venu, qui s’installa non loin de l’étranger.

Il allait attendre.

Puis la sentence serait prononcée.

– 20 –

Publié: 26 décembre 2007 dans L'Antidote (Finalisé)

Face à face entre l’inspecteur, l’assassin et l’otage victime du syndrome de Stockholm…


Il était là, pantelant, le trench-coat maculé de sang et de débris d’os, le regard du meurtrier en série braqué sur lui. La femme s’était rapprochée de son amant dépenaillé, haletant lui aussi, comme s’il avait participé au carnage. Du sang séchait sur ses mains, les rendant poisseuses et rugueuses ; cependant elle le laissa poser sa paume contre son ventre chaud.

– Et maintenant inspecteur ? Qu’allons-nous faire ? Oncle Waltz va-t-il disparaître pour de bon ? Dois-je disparaître à mon tour, maintenant qu’ils sont tous les deux morts ?

– Tous ne sont pas morts… tous ne sont pas morts. Tes propres démons te rongent, et ton heure viendra. Mais la question est : Seras-tu en paix désormais ? Tu as ta fée, ta princesse, ta lorelei ; j’ai moi, un coupable et plusieurs corps froids. Que faisons-nous ?

– Mon frère… partons. Partons désormais et à tout jamais. Moissonnons cette terre fertile du pêché ! Vois, elle sourit ! Cette perspective l’enchante. Notre fée ! Elle nous lavera de nos fautes et nous pourrons expier éternellement nos actions !

– Oui, mon frère… oui. A tout jamais.

Le fracas de la détonation retentit comme un coup de fouet sous le pont. Le jeune homme s’écroula, étonné, de la fumée suintant des bords déchirés de son t-shirt brûlé par la balle.

– Nooon ! Hurla-t-elle. Partagée entre le désir de se jeter toutes griffes dehors sur l’inspecteur et l’étreinte funeste de son aimé, elle restait debout, statique, les bras ballants. Les larmes amères coulèrent de ses yeux délavés. Elle ne bougea pas plus lorsque le canon de l’arme de service pointa le sixième chakra. La douleur fut brève mais intense. Puis la lumière fut.

Il était désormais seul. Entouré de ses spectres, et une farandole de feuilles rougeoyantes dansait autour de lui. Il jeta son arme dans le fleuve, et se rapprocha de son adversaire – son alter ego – son frère – sa victime. Celui-ci respirait, faiblement, et chaque bouffée l’éloignait des rives de la conscience. Dieu comme ils se ressemblaient ! Déjà au pensionnat, on les confondait.

Il se déshabilla et prenant à bras le corps et avec la tendresse d’un frère le corps assailli des derniers spasmes, échangea ses vêtements contre ceux du cadavre.

Puis il traversa le pont.

Une dernière fois.

– 19 –

Publié: 29 novembre 2007 dans L'Antidote (Finalisé)

L’inspecteur connait désormais la cache de l’assassin. Il s’y rend en compagnie de la jeune femme et du prêtre qui a commis les atrocités sur les enfants du village du criminel…


L’inspecteur sortit de son véhicule et extirpa violemment le prêtre de l’arrière de la voiture ; projeté à terre, ce dernier ne tenta même pas de se relever. La jeune femme ouvrit sa portière mais n’osa pas s’éloigner ; elle avait de plus en plus de mal à respirer, observant la scène comme noyée.

L’homme aux mains ensanglantées se tourna lentement vers l’inspecteur, et ses yeux se rivèrent sur le vieillard que les lueurs intermittentes des gyrophares faisaient palpiter. L’homme d’église leva lui aussi son regard et on pouvait y lire la peur.

– Vous… Je… Je vous connais… Vous étiez avec oncle Waltz… Que… Qu’avez-vous fait de mon âme ?

Ces mots emplirent l’air sans qu’aucun muscle ne bouge du visage du criminel. Il se rua, vif comme l’éclair, sur le prêtre défroqué, lui arrachant son col romain maculé de tâches suspectes, quand l’inspecteur pointa son revolver sur la tempe du meurtrier en série.

– Il est temps maintenant. Il est temps d’arrêter.

– Arrêter ? Savez-vous qui je suis ? Savez-vous pourquoi ? Que savez-vous de la folie exactement ?

– Je sais. Je sais pour votre oncle. Je sais pour ce salopard, pour ce qu’il vous a fait à vous et aux autres enfants.

– Je suis l’été ! Lourd été caniculaire ! L’été des fauches ! Je récolte les âmes mûres à point ! J’ai libéré la fée des lacs, afin qu’elle apaise les esprits sans repos !

– Et moi je suis le cruel automne qui te supplante. Tout est fini pour toi désormais. Pour lui aussi, sa fuite est terminée, ses heures son comptées.

– Laissez-moi lui soutirer son âme comme il m’a volé la mienne !

– Non. Lui, il est l’hiver froid et sans cœur, un hiver que l’on doit condamner. Moi seul peut le condamner. Car l’automne est justice. L’automne flamboyant et pur.

Ceci dit, l’inspecteur se tourna vers le prêtre, et lui asséna un violent coup de pied dans l’estomac. Un crachat de sang vint s’écraser sur sa chaussure droite. Puis, pris de frénésie, il se mit à lui donner des coups de crosse sur le visage, sous les yeux étonnés et figés du criminel. Des bruits d’os qui se brisent entrecoupaient les gémissements du vieil homme et les " tam ! " mats du métal contre sa face.

Il fallut à l’inspecteur plusieurs minutes pour comprendre que le prêtre était mort.

– 18 –

Publié: 12 novembre 2007 dans L'Antidote (Finalisé)

L’inspecteur débarque chez lui et la découvre attachée au lit ; elle lui dévoile alors où son amant se cache…


Oh, comme il souffrait ! Comme il souffrait de l’avoir laissée en appât, à la merci d’Oncle Waltz, en sacrifice au dieu des moissons ; et comme il sentait que le sang ne laverait pas l’offense faite à l’amour. Il jeta le couteau dans le fleuve, le regardant coulant alors qu’une flaque rosâtre s’étalait sur l’onde opaque.

La quinte de toux d’un des sans-logis qui s’abritaient sous le pont le fit se retourner. Il les regarda d’un œil morne, et murmura :

– A quoi bon ? A quoi bon tout cela ? Oncle Waltz me poursuivra, encore et encore. Rien ne le rassasiera, rien ne l’apaisera.

Machinalement, il tritura la boursouflure qui lui tenait lieu de lobe, et marcha au devant des clochards, évitant les mares de sang. Il s’approcha du plus âgé à qui il avait tranché la gorge, et trempa ses doigts dans la plaie béante. Puis il continua d’écrire sur le mur, traçant son histoire de larmes et de pêché.

 

L’inspecteur laissant son équipe dans la tanière du tueur en série, avait détaché la jeune femme et l’avait fait monté à côté de lui dans son véhicule de service. Elle se retourna lorsqu’un grognement se fit entendre sur la banquette arrière ; un vieil homme adipeux et au visage tuméfié était affalé de tout son long, menottes aux poignets et aux chevilles. Elle se sentait étrangement en dehors du tumulte, alors même que ce loup – car il était un loup – la traînait vers l’ultime repaire de son amant.

Ces dernières heures, elle avait sentit l’odeur métallique de l’eau du lac s’insinuer en elle, et ses cheveux humides comme les herbes des hauts fonds collant à ses épaules nues. Observant ses mains aux doigts frêles, elle sembla voir onduler des ridules en surface. Elle mit sa ceinture et resta silencieuse le temps du trajet.

 

Les phares du véhicule le surprirent alors qu’il traçait les dernières heures de son œuvre, COUPABLE écrit en lettres de sang.

– 17 –

Publié: 20 septembre 2007 dans L'Antidote (Finalisé)

L’inspecteur a trouvé une lettre du tueur le suppliant de l’arrêter. Qui va gagner le combat que ce dernier mène contre Oncle Waltz ?


Son réveil fut brutal ; on frappait à la porte, des coups sourds et répétés. Puis vint l’injonction.

– Police ! Ouvrez ou nous enfonçons la porte !

Elle tâta l’oreiller à ses côtés. Le lit était vide, encore humide de leurs ébats. Il était parti. Il était matinal, se plaisant à lui répéter qu’aux aurores, il cuvait son vin et le laissait tranquille. Parfois, la nuit, il gémissait comme un enfant qui fait un cauchemar. Elle s’approchait alors de lui et lui caressait les cheveux, les joues, traçant des mots réconfortants sur son torse.

Les coups reprirent, plus forts, puis la porte vola en éclats. Elle entendit le carillon de l’entrée fixé au plafond tomber dans un fracas de métal tintant, accompagné de la chute des étagères où il exposait ses bibelots à la poussière – des miniatures en pâte de verre ; et des pas lourds écrasèrent les frêles figurines, ce qui la mit en colère.

L’éclat d’une lampe torche l’aveugla momentanément.

– Inspecteur ! On l’a trouvée ! Mademoiselle ? Ne vous inquiétez pas, on va vous détacher.

Elle hurla lorsque l’uniforme frôla la peau nue de son bras droit, attaché à la tête de lit par un lien de soie – un cadeau de Lui.

L’inspecteur approcha, dans son imperméable, silhouette taciturne dans l’obscurité de la chambre, seulement soulignée par la lueur furtive des lampes torches. L’un des policiers commençait à déclouer les planches qui masquaient les fenêtres, laissant entrer la lumière polluante du soleil matinal.

– Où est-il ? Sa question réclamait une réponse.

– Il est dehors. Il est libre. Il moissonne. Et elle se prit à rire, ne pouvant retenir ces éclats qui la torturaient depuis si longtemps.

– J’ai un cadeau pour lui. Pouvez-vous le lui donner pour moi ?

– Qu…Quoi ? Un cadeau ? Elle frissonna lorsque la flamme de sa prunelle la consuma, un bref instant. Sa folie était différente de celle de son ravisseur – son hôte. Plus sauvage, indomptée, tel un rapace assoiffé. Lui, il était le vent dans les roseaux, il était la dune mouvante. L’inspecteur était un tsunami, une invasion de criquets, une avalanche. Et il voulait offrir un cadeau à son amant.

– Le pont qui jouxte l’Eglise de la Bienheureuse Révélation.

– 16 –

Publié: 5 septembre 2007 dans L'Antidote (Finalisé)

L’inspecteur observait le corps déjà froid à la lueur crue des gyrophares. Ce rouge agressif et ce bleu froid tour à tour apportaient au corps une vie pulsante et malsaine. Peu à peu il le sentait se rapprocher. La victime avait le visage serein, la mort l’avait surpris mais pas horrifié. Qui pouvait bien être ce mystérieux fantôme qui hantait l’assassin, et le poussait, encore et encore, à semer la mort autour de lui, sans désir de se faire connaître, sans signature précise, si ce n’est le hasard qui choisissait ceux qui tomberaient sous son jugement ? Quand s’arrêterait cette faim ?

Le corps gisait dans une flaque putride, où se reflétait l’enseigne du cabaret Rouge. On était dans la rue qui jouxtait le fameux club select où se trouvait l’entrée des artistes. Les risques pris étaient grands, encore une fois, et encore une fois la seule marque de son passage était la bienveillante immobilité de la mort et un lacet, trouvé dans la poche de la victime.

Son regard se porta sur les détritus qui jonchaient la ruelle mal éclairée. Papiers gras, boîtes de pizza, bières. La vie d’artiste.

Il allait s’en retourner vers son véhicule, rentrer au poste et remplir l’inévitable paperasse quand un papier attira son attention. Trempé, plié, on pouvait malgré tout lire en gras Waltz.

La lettre lui était adressée.

Inspecteur, oncle Waltz me hante depuis si longtemps que je ne connais plus le silence intérieur. Arrêtez-le avant qu’il ne commette d’autres crimes. Il faut que vous laissiez mon neveu tranquille espèce de sale fouille-merde. Sa foutue fée n’est qu’une morue que je vais me faire un plaisir de rendre au lac auquel elle appartient. Ne vous avisez plus de nous tourner autour ou sinon aidez-moi.

Destin.

– 15 –

Publié: 7 août 2007 dans L'Antidote (Finalisé)

Elle l’aimait. C’était certain désormais. La fée lui appartenait. Elle lui avait parlé, enfin, elle lui avait parlé de ses pulsions, de ses égarements. Elle l’avait surpris alors qu’il trempait des sucres d’orge dans une bouteille estampillée d’une étiquette à tête de mort. Elle n’avait pas paru horrifiée, oh non, mais compréhensive, presque contemplative de l’œuvre. Il l’avait accueillie, oh oui, dans son antre, là où il sculptait ces visages qui le hantait, lui avait montré la fée telle qu’il l’avait sculptée, mais lui avait cachée les créatures nées de la glaise et qu’il cachait, effrayé lui même des masques grimaçants de ces monstres. Il soupçonnait un empoisonnement de l’air qui lui polluait les neurones, peu à peu, et peu à peu le corrompait. Mais heureusement, elle était là, sa fée. Ils s’offraient l’un à l’autre, et passaient de longues heures à contempler leurs corps nus ; il lui apprit à faire parler l’argile, et elle fut la première surprise en extrayant de la boue humide un visage torturé. " Mon père ", dit-elle. Puis elle le broya de son poing fermé, des larmes coulant le long de ses joues rougies par l’émotion.

Il lui avait parlé, alors, de sa moisson, de sa mission, de sa quête enfin achevée. Il l’avait trouvée, elle, et elle le sauverait. Et elle l’accompagnerait.

Sa dernière récolte remontait à quelques semaines déjà. Il était sorti avec ses lacets et avait arpenté la nuit durant les bas faubourgs, à la recherche de quelque noctambule errant qui souhaiterait parcourir un bout de chemin avec lui, le temps de… Et pour la première fois, alors que le souffle azuré de la vie quittait le corps secoué de spasmes de sa victime, il se surprit à trembler lui-même, et entendit cette voix, la voix de la fée. " Pourquoi ? " lui demandait-elle. " Pourquoi continuer ? ". Oui, pourquoi ? N’était-il pas comblé ? N’avait-il pas ses réponses ? Mais Oncle Waltz… Oncle Waltz avait hurlé, dans sa tête, si fort qu’il avait l’impression de sentir ses yeux exploser. " Et que feras-tu ? Que seras-tu ? Ne dis pas de sottises ! Tel est ton but ! Ou tu couleras, dans le lac, encore et encore ! "

Il était rentré chez lui précipitamment, le souffle court, et l’avait surpris alors qu’elle dormait, allongée sur le canapé. Il vit ses mains se tendre vers son cou si pâle, et dut serrer les poings à se planter les ongles dans les paumes pour ne pas la marquer. A tout jamais. Elle avait alors ouvert les paupières, et lui avait souri. Et il avait sombré.

Encore.

– 14 –

Publié: 18 Mai 2007 dans L'Antidote (Finalisé)

Les rais de lumière qui filtraient par les persiennes du bureau traçaient des barreaux sur le visage du vieux prêtre. Son visage tuméfié le rendait grotesque et inquiétant à la fois. L’éclairage des néons lui conférait un aspect jaunâtre malsain.

L’inspecteur descendit son sixième verre de vodka, jetant sur son prisonnier le fond du gobelet ; les restes de glaçon atterrirent sur la chevelure clairsemée de l’homme d’église ; il geignit quand l’alcool lécha ses plaies ouvertes.

– Reprenons depuis le début. Que savez-vous du neveu de ce Waltz ?

– Je vous ai tout dit inspecteur, je ne sais rien de plus !

– Redites-le moi encore. Que je m’en imprègne.

– Il… il a été envoyé en pensionnat au Saint James school for boys du côté de Saint Mary Mead, et sa tante recevait régulièrement des lettres jusqu’à sa quatrième année. Une lettre de la directrice lui est parvenu en plein milieu de cette année-là – c’était l’année de l’éclipse – expliquant à la veuve de Waltz que son neveu avait fugué en compagnie d’un autre camarade ; le corps de ce dernier avait été retrouvé dans une crique, gonflé d’eau. Il été apparemment mort noyé et aurait été déposé par le courant dans cette crique.

– Avez-vous encore ces lettres qu’elle vous avait confiées ?

– J’ai tout gardé… C’est ma malédiction !

– Etait-il au courant de votre liaison avec sa tante ? De vos inavouables agissements ?

– Je… je ne pense pas qu’il savait pour Martha et moi. Et, comme tous les enfants de chœur, il avait subi l’ablation des lobes et du prépuce, ce qui ne devait pas le choquer.

– Pourtant, vous avez soupçonné quelquechose à la mort de Martha…

– Comment avez-vous deviné ? La police avait conclu à un cambriolage qui avait mal tourné, mais j’ai senti que… vous savez, dans son entrée, elle avait mis un crucifix, au dos duquel j’avais gravé nos initiales suivi du in nomine patris, notre relation approuvée par Dieu !

– Votre ménage à trois ? !

– Vous jugez ce que vous ne connaissez pas ! Ce que le corps éprouve endure l’âme et…

– Oh, fermez-là, vous me dégoûtez. Continuez plutôt votre histoire.

– Bref, les initiales avaient été raturées, bien sûr la police ne pouvait pas le savoir, j’avais substitué l’objet pour éviter… la curiosité mal placée. Et les petits feuillets que nous rajoutions à la Sainte Bible, sur lesquels nous écrivions nos propres psaumes, tel celui-ci « …Et la catin de Babylone dit à Jésus : Prends mon corps et goûte à la félicité… » bref, ces feuillets étaient dans l’âtre, à moitié roussi. Il l’avait tué, vous comprenez ? et il voulait me tuer aussi. Me faire du mal. Et il a réussi. Qui a attiré le regard de la Grande Eglise sur notre congrégation ? Ce salaud, ce démon, ce…

Un coup de poing l’envoya à terre, du sang suintant d’entre ses dents pourries.

– Vous allez me servir d’appât. Peut-être le laisserai-je vous dévorer le cœur avant de l’arrêter.

– 13 –

Publié: 23 avril 2007 dans L'Antidote (Finalisé)

Le temps s’écoulait telle une rivière paresseuse ; le ravisseur avait dénoué désormais les liens de la jeune fille, déboussolée qu’elle était, perdue dans le microcosme du petit appartement aux murs lambrissés. Il faisait lourd, et parfois un mince filet d’air, une fraîcheur s’immisçait au travers des persiennes qu’il ne relevait plus.

Elle errait, nue, parmi les meubles poussiéreux ; parfois, elle déambulait pour lui, et il la suivait du regard, hypnotisé, nu lui aussi. Mais leur corps n’entrait que rarement en contact. Il l’observait comme on observe un animal sauvage en pleine nature : avec déférence et respect.

Elle tentait parfois de l’attirer à lui, elle désirait l’étreinte brusque et éphémère, tout plutôt que ce silence qui les enveloppait.

Il lui préparait de somptueux repas, il lui racontait quelquefois des histoires, mais jamais il ne parlait de lui. Elle aurait aimé le connaître mieux. Le temps passait, et elle ne se souvenait plus des circonstances qui l’avaient amenée dans cet appartement. Il lui semblait avoir toujours habité ici. Que lui manquait-il ? Elle avait l’amour.

L’homme sortait rarement ; il passait de longues heures enfermé dans son bureau, à rédiger des missives qu’il expédiait les jours où il sortait faire les courses. Il lui écrivit un magnifique poème qui lui gonfla le cœur, et qui commençait par : Ô fée des lacs, amène compagne qui de l’ondée fait naître l’amour…

Aujourd’hui, il pleuvait.

Les gouttes drues martelaient les carreaux, et le son, tel un tam-tam dans la plaine africaine s’insinuait par tous les pores de sa peau, lui insufflant un rythme qui lui donnait la chair de poule.

Il était dans son bureau, mais la porte était entrouverte, il pouvait donc être dérangé. Elle s’approcha et l’observa. Il sculptait dans la glaise un buste d’elle ; la terre semblait suinter sur le visage ébauché, comme autant de larmes.

Elle posa alors sa main sur son épaule, l’obligeant à lui faire face ; il la regardait, souriant. Elle prit sa main maculée, et la glissa sur son ventre ; elle le laissa remonter jusqu’à sa poitrine, haletant de ce contact tiède et glacé à la fois. Il traçait des mots sur son ventre.

Il avait le visage d’un ange. Des traits doux, réguliers, une fine mèche balayant son front. Ses yeux noirs la fixaient intensément, et une flamme y brûlait. Elle avait su allumer le désir.

Elle se consumerait. Ce soir.

– 12 –

Publié: 11 avril 2007 dans L'Antidote (Finalisé)

La fontaine municipale était assaillie aux heures chaudes, et nombre de gens profitaient des gouttelettes éparses, comme une pluie bienfaisante.

Assis à la terrasse de La Fontaine de Jouvence, l’inspecteur laissait son regard errer sur les glaçons au fond de son verre ; il y voyait l’image de la jeune femme, prisonnière de la glace. Il ferma les yeux et reporta son attention sur son interlocuteur qui achevait sa logorrhée, la gorge en feu, pour se précipiter sur son bloody mary. Sautant du coq à l’âne, il murmura :

– Vous ne pouvez savoir à quel point cette boisson est rafraîchissante ! Correctement dosée, La texture de la tomate glisse le long de l’œsophage et laisse une note de fraîcheur alors que le gin et les épices – poivre, tabasco, piment, selon les goûts – vous montent à la tête et provoquent une légère fièvre engourdissante, qui s’évanouit pour ne laisser que cette sensation de légèreté…

A voir le visage de l’homme qui gardait son panama même sous le parasol, on doutait que la fièvre ait disparu. L’inspecteur avait fait appel à lui, écoutant son intuition plus que sa raison.

Lisant et relisant le texte envoyé par l’assassin, il avait déduit que cet " Oncle Waltz " avait son importance, de même que ce lac. Il avait alors effectué des recherches dans les environs, sur toutes les affaires de violence, meurtres, disparitions mystérieuses qui auraient pu concerner un certain Waltz au cours des trente dernières années.

Le prénom en lui-même n’était pas très courant, et seuls dix cas étaient ressortis de son investigation : braquage de banque, morts dans l’incendie d’un immeuble, abandon de foyer, noyade accidentelle, accident de la route, accident de chasse.

Tout naturellement, il suivit la piste de la noyade. Quelques vingt années plus tôt, lors d’une sortie de pêche avec son petit fils, un quinquagénaire avait trouvé la mort dans le lac. L’enfant avait couru chez sa grand-mère la prévenir de l’accident. Il serait tombé de la barque. l’enfant on avait retrouvé le corps gonflé d’eau, une forte commotion à l’avant du crâne – un coup de rame selon l’autopsie. L’affaire avait été close très vite. Malgré tout, son sens de flic affûté par ses années en tant que profiler lui brûlait la cervelle. Il tenta donc de prendre contact avec les gens qui avaient connu ce Waltz, et les circonstances du drame. La seule personne encore en vie – sa femme et ses enfants étaient morts, et le petit-fils introuvable, était le curé de la paroisse qui officiait à l’époque, et avait été défroqué pour des motifs gardés secrets, qu’il avait nié en bloc.persona non grata dans la plupart des foyers tenus par l’église œcuménique des Derniers Jours, aussi passait-il la plupart de son temps dans un foyer public crasseux et délabré.

Surmontant sa répugnance, l’inspecteur l’invita à prendre un verre – ce qui, assurément, lui délierait la langue. Le curé en était à son sixième bloody mary, et il pérorait sur les anciens temps, ses prêches enflammées et la foi corrompue des jeunes d’aujourd’hui.

Au nom de Waltz, il parut s’assombrir avant de vider d’un trait le fond de son verre.

– Pauvre Waltz… il était un piètre nageur, mais un bon croyant ! il avait apporté beaucoup à notre petite paroisse, oui, beaucoup…

L’inspecteur regardait avec dégoût le vieillard libidineux se lécher ses babines desséchées, essuyant du revers de sa manche un reste de tomate dégoulinant de la commissure de ses lèvres. Il laissa sortir la question qui le tenaillait :

– Pourquoi avez-vous été défroqué ?

– C’est… c’est un complot ! Une calomnie ! On veut dissoudre la Sainte Trinité ! Mais Sa Colère s’abattra sur les infidèles, oui !

– Répondez à ma question, plutôt. Cela restera entre nous, dit l’inspecteur d’un air de connivence feint.

– Ces jeunes gens, mes ouailles, ils étaient si beaux vous savez, et leur chant si pur, un appel pour les Anges ! Alors, parfois, je leur demandais de chanter pour moi, le soir ; et certains de mes paroissiens se joignaient à moi pour écouter ces voix si mélodieuses… Et leur chair était si exquise !

L’inspecteur ne put réprimer un frisson en voyant les yeux embués de larmes de l’ancien curé. Il répugnait plus que tout ces tueurs de jeunesse, pédophiles, meurtriers d’enfants.

Semblant lire dans ses pensées, le vieil homme s’excusa :

– Non, ce n’est pas ce que vous croyez, je n’ai pas commis le pêché de chair avec ces enfants !

– Mais alors, qu’avez-vous fait ?

– Savez-vous qu’il existe des textes apocryphes où il est dit que le sang des Anges confère l’immortalité ? Et bien nous goûtions la chair de ses enfants, qui sont Séraphins et Chérubins, pour expier nos fautes et accéder à la félicité. Oh, comme il était doux le goût du Paradis ! Leur chair était comme une fraise à peine mûre, l’odeur de pureté qui s’en dégage, et cet incomparable goût ! C’est comme aspirer par la bouche la brise venant d’une forêt vierge ! Mais nous n’avions tué personne, dit-il en baissant la voix. Nous ne mangions que les prépuces et les lobes de ses enfants.

– Vous êtes un monstre ! Combien, combien comme vous on perpétré ce crime odieux ?!

– Crime ? Est-ce un crime que de chercher les clefs de l’Eden ?

L’inspecteur, pris de soudain haut-le-cœur, empoigna alors le vieil homme et le traîna derrière la ruelle sombre qui jouxtait son immeuble.

Assis sur un banc près de la fontaine, les trois vieillards de la cité neuve assistaient à l’échange.

Clothos dit : le vent se lève.

Lachésis dit : L’été s’achève.

Atropos conclut : Et moi j’en crève.